Aventures sur Arrakis
par Helena Nash
« Je pensais à toi pour le scénario du livre de base », disait le mail d’Andrew Peregrine, responsable de gamme pour le jeu de rôle Dune. Et je me suis dit : « Mais pas de problème ». Le scénario d’introduction pour une saga de science-fiction légendaire, cinquante ans d’aficionados et tout un univers pour l’appuyer ? Pas de pression non plus.
De qui tu te moques ? Je me suis mise à paniquer environ trente secondes après avoir envoyé mon « Avec plaisir, merci » à Andrew. Puis je me suis souvenue de la Litanie contre la peur et je me la suis mentalement récitée.
« Je ne connaîtrai pas la peur. La peur tue l’esprit. La peur est la petite mort de l’âme qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, à travers moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »
Eh oui, j’ai entendu le jeune Kyle MacLachlan me la murmurer.
D’accord, à moi me charger de cette tâche. Mais comment tailler sur mesure une aventure en 5 000 mots et qui contenait tout ce que j’adorais dans l’univers d’Herbert ? Un récit qui présente aux nouveaux venus les concepts essentiels de cet univers, et permet aux joueurs de faire connaissance avec le système de règles ? Oh, et puis une histoire aussi amusante et mystérieuse que difficile ?
J’ai écouté le livre audio de Dune environ trois fois, je m’en suis remise à ma formation de Mentat. J’ai analysé mes impressions pour en tirer les éléments qui, à mes yeux, constituaient la force de ce décor unique. J’ai couché sur le papier des phrases comme Conflit entre Maisons, Ambitions incompatibles, Conspirations & Trahisons, Menace de guerre ouverte, Meurtres sournois, Fourberies du Bene Gesserit, Vers des sables géants. Oh oui, j’adore ces bêtes-là.
J’ai ensuite noté ces idées sur des post-it de différentes couleurs, que j’ai collés sur la porte de ma buanderie. Impossible de les rater, je passais devant chaque fois que j’allais aux toilettes.
Pour moi, un scénario d’introduction à Dune devait se dérouler dans le désert d’Arrakis. Il devait comporter quelques intrigues alambiquées et une galerie de PNJ vraiment méchants et effroyables. Et bien sûr, il devait faire planer en permanence la menace d’une mort violente et imminente sur la tête des joueurs et des personnages secondaires. En revanche, quel cadre choisir et comment lier tous les thèmes centraux que j’avais sélectionnés ?
Dans le premier volume du cycle, la scène qui m’a le plus marquée réunissait le duc Leto, Paul, le planétologue Kynes et Gurney. En plein désert, ils croisaient la route d’une énorme moissonneuse et s’efforçaient d’évacuer son équipage, alors même qu’un formidable ver des sables fonçait droit sur elle. Ce passage prenant comportait son lot de choix difficiles, un petit nombre de protagonistes et une question de vie ou de mort. Devaient-ils tenter de sauver le véhicule et sa précieuse cargaison d’épice, ou les hommes ? J’avais l’impression de lire un scénario dans lequel la plupart des joueurs adoreraient se laisser embarquer.
Je m’en suis donc inspirée. J’ai mûrement réfléchi aux risques inhérents à manœuvrer ce qui est, pour résumer, une plateforme de forage géante, pataude et ressemblant plus ou moins à un scarabée, chargée d’aspirer de l’épice. Et comme si ça ne suffisait pas, elle doit évoluer sur une dangereuse mer de sable, le domaine de créatures longues de plusieurs centaines de mètres et assez grosses pour la gober tout entière. J’avais l’impression que toutes les activités liées à la récolte de l’épice cherchaient à vous tuer. Ajoutez-y les bassins de poussière sans fond et les sables-tambours agitant la cloche du dîner pour les vers des sables. Et n’oubliez pas les tempêtes qui vous étouffent, et ces Fremen hostiles et insaisissables qui trucident les étrangers, les hors-mondes, dès qu’ils en voient un.
S’ensuivent plusieurs intéressantes discussions avec Andrew et Jason Durall, gourou ès rédaction-jeu de rôle, sur les détails relatifs à l’industrie de l’épice sur Arrakis. Promis, c’était vraiment tout à fait essentiel et ça ne concernait que le jeu.
J’ai à nouveau écouté Dune plusieurs fois, passé un ou deux jours à fixer les carrés de papier coloré qui couvraient ma porte. Enfin, j’ai imaginé l’intrigue des « Moissonneurs de Dune ». Dans ce scénario, les personnages joueurs se rendent quelque part dans le désert et vont inspecter l’un des énormes portants de leur Maison. Celle-ci les a chargés d’enquêter sur sa faible productivité.
Qu’est-ce qui pourrait bien mal tourner ?